Pour son dixième album, l’horloger de l’afrobeat frappe un grand coup. Il est entouré des Jazzbastards, un trio de producteurs à la pointe des sons d’aujourd’hui et de compagnons de route au premier rang desquels Damon Albarn, pionnier
des ponts entre l’Afrique et les musiques actuelles. Tony Allen livre un disque qui sonne comme un autoportrait, un résumé de sa carrière riche et exemplaire qui brasse be bop, afrobeat jazz et pop psyché. Pour le sorcier de Lagos qui a toujours
pensé sa batterie comme un orchestre et qui aime « faire chanter ses fûts », ce
Film Of Life est un aboutissement.
Avec l’aisance implacable d’un sage, Tony Allen livre son afrobeat cinématique mutant : psyché, futuriste, radical.
Le rythme, c’est ce qu’il y a à la fois de plus perceptible et de plus abstrait au monde, écrit John Miller Chernoff dans un livre
resté célèbre, African Rhythm & African Sensibility. Il y a une trentaine d’années, ce remarquable essai incitait Brian Eno
et David Byrne à revoir entièrement leur approche de la musique. Quoique pour être honnête, c’est surtout grâce à Tony
Allen si les rythmes africains se sont mis à changer le devenir de la pop occidentale. Aucun batteur n’incarne mieux que lui
la vitalité primordiale de ces rythmes, ni l’envie de les soumettre aux expériences et aux mixages les plus modernes. En
cinquante ans de carrière, il a révolutionné le paysage musical de tout un continent avant de se hisser à la faveur de ses
multiples collaborations au rang de référence universelle. Aujourd’hui, Film For Life, son dixième album, porte un regard
rétrospectif sur cette fabuleuse aventure tout en scrutant de nouveaux horizons avec la même avidité et la même agilité.
Né en 1940 à Lagos, Tony Oladipo Allenn’a jamais approché les percussions traditionnelles africaines ; il s’est directement
intéressé à cette lointaine cousine qu’est la batterie alors qu’il travaillait comme technicien à la radio nationale du Nigeria.
Autodidacte intégral, c’est à l’écoute des disques d’Art Blakey et de Max Roach, deux batteurs stars du be bop, qu’il se
forge une technique qu’il va dégrossir peu à peu en soignant son jeu de cymbales notamment le charleston qui est très peu
utilisé par les batteurs en Afrique - et de toms. Au milieu des années soixante, sa rencontre avec Fela Anikulapo Kuti, jeune
trompettiste de retour d’Angleterre et fraîchement diplômé du Trinity College of Music, change radicalement son destin.
Leur collaboration débute au sein des Koola Lobitos, groupe vedette du jazz highlife, avant de prendre une tournure beaucoup
plus épique lorsque Fela allume la mèche de l’afrobeat, un style révolutionnaire où se croisent motifs rythmiques yoruba,
approche instrumentale funk et paroles traversées de rhétorique Black Panthers et de thèses panafricanistes.
Devenu le « Black president » de l’afrobeat, Fela va s’appuyer pendant quinze ans sur ce métronome humain à la cadence souple et précise avant que leurs chemins ne se séparent.
La suite de sa carrière, Tony la mènera entre une fiélité à l’afrobeat originel et une émancipation multidirectionnelle qui
passe par le dub, le « Space jazz » mais aussi la pop internationale. Depuis sa rencontre dans les années deux mille avec
Damon Albarn, Tony a fait partie des groupes The Good The Bad & The Queen et Rocket Juice and The Moon, deux
projets conduit par le chanteur de Blur. Sollicité par un nombre croissant d’artistes, il a récemment accompagné Charlotte
Gainsbourg et Sébastien Tellier, mais aussi Joe Lovano.
Comme le rembobinage d’un longmétrage, Film of Life remonte le cours de cette vie musicale riche et exemplaire, et
complète une autobiographie parue en 2013. Dans « Moving On », il passe en revue avec cette voix de saurien assoupi
tous les albums de sa discographie, comme pour prouver, si besoin était, son endurance et sa puissance de réinvention.
À l’heure où, à la suite du reggae et du blues, l’afrobeat entre dans le domaine des musiques mondialisées avec la
multiplication de groupes présents sur les cinq continents, Tony tient à faire savoir qui est le patron, mais aussi faire
entendre toutes les nuances du genre. J’ai toujours pensé ma batterie comme un orchestre, confesse ce septuagénaire
au visage d’enfant. J’aime qu’une mélodie sorte de mes fûts quand je joue. J’aime les faire chanter. Et pour les faire chanter,
Tony n’a pas son égal ! Derrière son kit, il est un horloger qui loin de subir le temps le règle selon son bon vouloir.
Maître de l’exactitude, il distribue le groove, dispense avec maniaquerie quarts de soupir et fulgurances de métal.
Il caresse, fouette, martèle ses peaux et ses cymbales avec une intelligence et une économie qui forcent l’admiration.
Jamais d’effets, jamais de solos,Tony joue comme il respire avec la légèreté d’un ascète, la profondeur d’un sage.
De ce dixième album, il a confié la production à un trio de jeunes musiciens français, The Jazzbastards (déjà célébrés
pour leur travail avec Oxmo Puccino et Mélissa Laveaux) pour un résultat qui in fine justifie amplement le choix du titre.
Film of Life est comme une version technicolor de l’afrobeat qui éviterait le kitch et le glamour hollywoodien, d’« African
Man » à « Afro Kung Fu Beat » (dont l’original avait servi à illustrer le fim Le Dernier Roi d’Ecosse), de «Tiger Skip » (avec Damon Albarn au mélodica) à « Tony Wood » (avec le chanteur américano-nigérian Kuku).
Musicien-racine, Tony joue mais sait aussi prendre position dans ce « The Boat Journey » que lui a inspiré les récents drames de l’exil, chanson à laquelle fait écho « Go Back » co-écrite et interprétée par Damon Albarn dans un esprit très Philly sound. À l’heure oùle concept de Great Black Music renaît de ses cendres, on reconnaîtra encore dans « Ire Omo », dans « Mojo » (Manu Dibango au sax) dans « Koko Dance » ou « Insider » cet art dont il est passé maître. L’art de ramener vers l’Afrique
plusieurs courants diasporiques pour une synthèse gorgée de sève jubilatoire.
Tony Allen : drums, vocals (1& 2),
congas (2)
Cesar Anot : bass (sauf 4 & 7)
Laurent Bardainne : sax (1, 8, 9, 10)
Ludovic Bruni : tenor guitar (1, 5, 8, 9,
10), tenor guitar lead (6), rythm guitar
lead (2, , 3, 4), bass (3, 7), vibes (4)
Indy Dibongue : ukulélé,
rythm guitar (5, 6, 8, 9,10)
Fixi : synth (3, 13), clarinet (10)
Audrey Gbaguidi : backin vocales
(1 & 2)
Antoine Giraud : trombon (1, 8, 9, 10)
Nicolas Giraud : trompet (1, 8, 9, 10)
Yann Jankielewickz : baryton (1, 6,
8, 9, 10)
Vincent Taeger : percussions,
marimba (5), synth(6), vibes (5),
vibes solo (9)
Vincent Tayrelle : synths, keys (5)
GUESTS
Damon Albarn vocals & synths (7),
melodica (3)
Sandra Nkaké background vocals (2)
Adunni and Nefrettiti vocals (8)
Kuku vocals (10)
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